La femme suicidée dans la forêt

J'étais au secondaire 2 je crois. C'était le mois de novembre. J'aime penser que c'était le 23 novembre, c'est une belle date.  En réalité je ne sais pas trop. Il n'y avait plus de feuilles dans les arbres,  il n'y avait plus de vie dans la nature. La terre était encore à découvert, froide mais pas encore gelée. De la bouette en fait. Il y avait eu une grosse tempête automnale la semaine passée; il avait beaucoup plu. Les arbres ne buvaient plus.
J'étais à l'école. C'était l'heure du midi. Comme à chaque midi, nous sortions dehors déconner dans notre obsession du moment. À ce moment là, nous avions récemment découvert le garage municipal, à côté du parc Félix-Leclerc, à la limite de Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Ce n'était pas loin autour il y avait une très belle forêt que nous n'avions pas entièrement exploré encore.  

Évidemment, on y allait pour faire du trouble... s'amuser, risquer... se défouler en gros. Dans la clôture qui délimitait le garage, il y avait un trou. On s'y faufilait à tour de rôle. Et là, on prenait des objets - des gros tubes de pastiques, des branches, des matériaux divers et on les lançait à bout de bras. On brisait des trucs, on faisait du vacarme, et quand des travailleurs surgissaient, on se lançait dans l'ouverture du trou, se déchirant les vêtements et la peau en riant comme des fous. L'adrénaline était extraordinaire.

Puis, cette journée là, nous étions dans l'enclos, et un de nos amis s'était éloigné pour uriner. Pendant qu'on semait gaiement la destruction, il revint à la course, s'écriant:
"Y'a quelqu'un! Y'a quelqu'un!"
On s'est projeté à l'extérieur de la clôture. Une fois sorti, il nous dit:
"Mais non, quelqu'un de mort!"
"Ah fiou! s'était-on exclamé... Euh, attends, quoi?!"
Il nous a emmené plus loin dans la forêt, mais pas si loin. Je me tenais plus derrière le groupe. On a dérogé un peu du sentier, et j'ai vu un parapluie bleu ouvert, placé à l'envers avec un sacoche de cuir noir à l'intérieur. Ce n'est qu'après un certain moment que j'ai vu un manteau sur le sol- et des pantalons, des souliers, une chevelure... Il y avait une femme face contre terre, d'un âge avancé, sous un grand sapin.

Nous avons immédiatement paniqué; première chose qui nous vint à l'esprit fut la possibilité que c'était un meurtre récent... Nous avons alors sorti de la forêt en courant, semi en panique... Mon ami s'arrêtait de temps en temps, pour dire, dans une excitation assumée "On a vu un cadavre!!"
On est allés avertir la police chez la coiffeuse d'un ami qui habitait proche. On est alors retourné sur les lieux, et la police et une ambulance sont arrivés. Nous avons tous été questionnés, un à un. Juste avant, on s'élaborait une histoire fausse pour ne pas dire que nous étions en train de faire du vandalisme.

Par la suite, on pu retourner chez nous. Le seul retour que nous avions eu est une courte rencontre avec une psychologue de l'école, le lendemain matin.

Éventuellement, la police a rappelé chez moi, pour m'informer la nature du décès; la femme aurait pris des comprimés pour s'empoisonner et se serait laissé mourir dans la forêt. Cela faisait une semaine qu'elle y était lors de notre découverte.

Il y a une place dans mes pensées pour cette inconnue. À chaque année, depuis 10 ans peut-être, je vais visiter l'endroit où je l'avais trouvée, en fin novembre. Je ne me rappelle plus exactement où était son corps, mais je me rappelle de l'endroit général... Je me dis que peut-être qu'il n'y avait personne pour elle, peut-être qu'elle s'est suicidée parce qu'elle était seule. Y a-t-il encore quelqu'un qui pense à elle aujourd'hui? Je me dis qu'au moins, une personne pense à elle.